Bonjour Jean Joyeux, pouvez-vous tout d’abord vous présenter?
Je suis micronutritionniste diplômé en micronutrition (de l’université de Bourgogne où j’ai enseigné) et diététicien, j’enseigne à l’École de Nutrition Holistique à Genève. J’ai accompagné et j’accompagne encore des sportifs de niveau international (cyclisme, ski alpin, trail, course de montagne, triathlon, athlétisme, haltérophilie…). J’écris aussi, comme coauteur de trois livres en particulier (Manger Mieux et Meilleur, Votre foie a besoin d’amour, Centenaire et en pleine forme) et je participe également au magazine web Permafood, un projet très complet et passionnant.
Je crois en effet profondément qu’une alimentation équilibrée pour la santé ne devrait pas aller à l’encontre de l’équilibre de la nature et des écosystèmes. Nous devons notamment prendre du recul avec les abus de produits animaux. Dans la santé de l’humain et de la planète, les huiles végétales participent à cet équilibre fondamental.
Quels sont les signes d’une carence en oméga-3 et les effets les plus marquants d’un rééquilibrage ?
Le signe de carence le plus flagrant est la sécheresse cutanée. Beaucoup de personnes estiment relativement normal d’avoir une peau sèche en particulier en hiver or ça ne l’est pas. Des douleurs et de l’inflammation chroniques représentent un point d’appel important, tout comme la difficulté à cicatriser.
En termes d’effets, l’un des plus rapides touche l’intestin. Les cellules intestinales profitent des oméga-3 rapidement (renouvellement tous les 3 jours + accès direct localement).
Le transit s’améliore un peu via la chasse biliaire permettant de digérer les graisses.
Les douleurs vont progressivement s’atténuer.
Un signe déterminant est la qualité de la peau qui s'améliore. Cela veut dire que les acides gras sont bien digérés, absorbés et transportés. Certains patients évoquent une amélioration de leur capacité de concentration, une meilleure gestion du stress. Cela peut aussi se traduire par un meilleur sommeil, une mémorisation qui s’améliore, une «sortie de brouillard», une meilleure acuité intellectuelle.
Je travaille souvent avec un neurologue qui m’envoie des patients souffrant de déclin cognitif ou de pathologies neurodégénératives. Sans prétendre guérir la personne, on peut freiner nettement l’évolution de la maladie. Il arrive que le neurologue constate des stabilisations manifestes, un ralentissement marqué. C’est un écho très fort à de nombreuses études scientifiques allant dans ce sens.
Les carences en oméga-3 vont en augmentant et représentent un problème de santé publique. Quelle est votre réaction face à cela ?
Oui, les carences sont manifestes, à commencer par les oméga-3 d’origine végétale. C’est une partie de la solution à ce problème de santé publique que vous évoquez. Avant de parler supplémentation, nous devons parler alimentation et huiles végétales.
Il y a un manque de connaissance manifeste sur l’ensemble de la chaîne des oméga-3, à commencer par leur chef de file : l’oméga-3 d’origine végétale, l’ALA (Acide Alpha Linolénique). Globalement, peu de professionnels de santé sont formés de façon approfondie à ces aspects de la nutrition. On constate très souvent une méconnaissance des acides gras essentiels, et en particulier des différents oméga-3.
Ainsi, aucune différence n’est faite entre les oméga-3 présents dans une margarine, dans des mélanges d’huiles raffinées ou ceux issus d’huiles bio extraites à froid. Pourtant les différences sont énormes !
Autre point, la plupart des études sur les oméga-3 se focalisent essentiellement sur l’EPA et le DHA (oméga-3 d’origine surtout animale par les poissons), probablement parce qu’il s’agit des précurseurs les plus directs des molécules messagères de l’inflammation. On ne parle pas de l’ensemble des oméga-3.
Une autre raison enfin, évoquée notamment par le Docteur de Lorgeril, réside dans le fait que la course au brevet (de la part des labos) implique d’utiliser des formes moins naturelles d’oméga-3 (la forme ethyl-ester au lieu de la forme triglycéride qui est naturelle). Ces formes auraient d’ailleurs des effets nocifs selon certaines publications.
Lorsque vous abordez les oméga-3, parlez-vous quantités avec vos patients?
Les Valeurs Nutritionnelles de Références (VNR) sont issues de moyenne, moyennes mesurées sur des populations très variées. C’est selon moi un piège que de s’y limiter.
Avec mes étudiants, je parle gramme et milligramme, mais je leur conseille de prendre du recul. Si la carence est forte, il va falloir adapter les quantités. Il y a une différence entre le «minimum syndical» et l’efficacité thérapeutique. Ainsi,en phase d’attaque, je n’hésite pas à doubler les quantités.
Chez mes patients, je travaille sur la qualité des huiles de leur alimentation, c’est une étape cruciale. Les bouteilles en plastique sont à proscrire car les huiles y sont la plupart du temps raffinées, c’est-à-dire obtenues via solvants chimiques, solvants qui vont les oxyder ! D’autre part les plastiques contiennent des composés liposolubles dont l’innocuité est plus qu’incertaine et que l’on va retrouver dans les huiles. Il faut cibler des huiles bio, extraites mécaniquement à froid, conservées dans des bouteilles en verre sombre. Ensuite, je compte en nombre de «cuillère à soupe» en fonction des huiles.
Terminons avec les sportifs, vous qui connaissez bien ce domaine, que pouvez-vous nous dire ?
En ce qui concerne les sportifs, une séance d’entraînement intense créant de l’inflammation, leurs besoins en oméga-3 sont accrus (rôle anti-inflammatoire des oméga-3). La phase pro-inflammatoire est normale mais la récupération (phase anti-inflammatoire) doit lui succéder. Or, tout comme dans la population générale, on constate une carence en oméga-3 chez les sportifs : ils ne consomment pas assez de poissons et d’huiles végétales notamment. De fait, leur récupération est optimisée par un meilleur apport.
Second point, l’oxygénation du sportif : la qualité d’oxygénation des tissus est très importante pendant l’effort mais aussi pour la récupération. Cette oxygénation est menée par les globules rouges, porteurs d’oxygène. Ces globules rouges doivent être suffisamment souples pour se faufiler dans les capillaires dont le diamètre est inférieur de moitié à la taille du globule rouge. Or, une membrane souple est une membrane contenant suffisamment d’oméga-3, ces derniers apportant de la flexibilité et permettant ainsi au globule rouge de s’enrouler pour passer dans les capillaires.
Enfin, le fait de faire intervenir cette réponse anti-inflammatoire fréquemment a pour effet de provoquer une surconsommation des oméga-3 car on sollicite davantage son système immunitaire (le taux de renouvellement des cellules du système immunitaire est augmenté). On peut aussi penser à un besoin accru pour entretenir et protéger l’intestin, fragilisé en particulier chez le sportif d’endurance par les fluctuations importantes de la vascularisation digestive (ischémie d’effort). Enfin, on ne doit pas oublier la vitamine E, présente dans les bonnes huiles en quantité et indispensable à tous ces phénomènes de cicatrisation/récupération.
En synthèse, le besoin du sportif en ALA (oméga-3 végétal) est au moins doublé par rapport à une population sédentaire.
Merci Jean Joyeux